Entretien avec Thierry Troudet, d'Ecolab France, au sujet de la résilience hydrique comme avantage concurrentiel
Les phénomènes climatiques viennent s'ajouter aux nouvelles réglementations pour mettre l'accès à l'eau sous pression. Alors qu'il s'agit déjà d'une ressource stratégique d'un point de vue politique, elle le devient également pour la production de nombreuses entreprises et industriels français. Comment réduire ce nouveau risque ? Thierry Troudet, directeur exécutif d'Ecolab France, nous l'explique.
Les entreprises sont de plus en plus vulnérables concernant leur accès à l'eau. Est-ce un problème climatique ?
Il est indubitable que le stress hydrique se renforce. Cependant, la vraie prise de conscience des entreprises provient principalement des conséquences réglementaires de ces sécheresses. Ces deux dernières années, les préfets ont promulgué des décrets limitant l'accès à l'eau : cette dernière est devenue une ressource critique, dont le manque peut nuire à la production industrielle. Si nous ajoutons à ce contexte déjà restrictif, les 53 mesures du Plan eau, déployé par le gouvernement depuis mars 2023, tout pousse actuellement les entreprises à adopter des pratiques plus vertueuses d'ici 2030.
Quelles entreprises sont les plus exposées au risque de perturbation de leur approvisionnement en eau ?
Chez Ecolab, nous considérons l'eau comme une ressource finie, locale et partagée. Il existe donc une composante géographique, certaines régions étant davantage exposées à la sécheresse. L'activité est également à prendre en considération : l'agroalimentaire, l'industrie pharmaceutique, la chimie sont des grandes consommatrices d'eau. Enfin, la taille de l'entreprise a son importance et, contrairement à ce que l'on pourrait croire, les PME ne sont pas à l'abri de ces problèmes. À nos yeux, ce qui est le plus important, c'est le type d'utilisation que l'entreprise fait de l'eau. Pour certaines, c'est une matière première essentielle dans leurs processus de fabrication. C'est le cas des produits laitiers par exemple. Mais pour la plupart des usines, l’eau est aussi nécessaire comme utilité, par exemple dans des processus de chauffage. L’enjeu est donc de réduire les consommations de l’eau comme utilité pour protéger à la fois les besoins en eau « utile » et ceux en eau matière première « indispensable ».
Quels sont les leviers d'action existants ?
Nous pouvons agir sur trois leviers, les 3 R : réduire, réutiliser et recycler. Mais tous n'ont pas la même envergure. La réduction est la solution la plus rapide et la plus simple à mettre en œuvre, ainsi que la moins coûteuse. Souvent, un audit permet de détecter les fuites et de les réparer, en particulier dans le parc immobilier et industriel vieillissant de l'Europe. La réutilisation de l'eau pour des tâches moins nobles constitue également un système qui peut être mis en place avec des coûts raisonnables et sans dépenser trop d'énergie, ce qui représente un facteur important. Quant au recyclage, il est plus complexe et concerne principalement les grands groupes. Il touche au cœur de leurs processus de production et les délais de mise en œuvre sont ici plus longs, car les projets plus transformatifs. D'où l'importance de bien réduire et ré-utiliser l'eau pour minimiser le besoin de recycler.
Les entreprises françaises sont-elles prêtes à s'adapter à la raréfaction des ressources en eau ?
On nous pose de nombreuses questions, ce qui montre un véritable intérêt, voire une préoccupation, concernant ces sujets. L'Europe avance indubitablement vers la création d'un label concernant l'eau et les obligations réglementaires ne cessent d'être renforcées. Néanmoins, la France a pris beaucoup de retard concernant la transposition des directives européennes et l'incertitude politique pose une menace réelle à la préparation des entreprises face à ces risques. Et ce alors que d’autres régions du monde accélèrent sur ces sujets et parviennent à la création de nouveaux modèles, comme la mutualisation des installations observée en Corée du Sud. L'implication des acteurs privés et publics est donc nécessaire pour poursuivre l'adaptation des sociétés françaises à ces défis cruciaux.
« L'eau est une ressource finie, locale et partagée, dont le traitement exige de nouvelles formes de collaboration et de mutualisation »
Thierry Troudet
Directeur exécutif d'Ecolab France